'' Jamais ils n'arriveront à nous séparer, tu m'entends ? Jamais ! ''

Il lui en avait fait la promesse. Il l'avait regardé droit dans les yeux, et il lui en avait fait la promesse. Il avait même renouvelé cette promesse. Deux fois. Trois fois. Des dizaines de fois. Comment avait-il pu la trahir ainsi ? Il avait cru qu'il serait capable de la protéger. De tout. Toujours. Il s'était planté. Pourtant, c'était ce qu'il savait faire de mieux, ce qu'il avait toujours su faire de mieux. La protéger.

Mihaël tira encore une fois sur sa cigarette, impatient. C'est qu'il n'avait pas toute la journée, non plus. Il s'était pointé tôt, exprès. Pour en finir au plus vite. Pour être rentré avant qu'on ait eu l'occasion de remarquer son absence. Il n'était pas encore sept heures, le soleil n'était même pas levé et seuls les phares de la voiture sur laquelle il était négligemment appuyé éclairaient la ruelle déserte. Et puis, la porte qu'il surveillait depuis vingt bonnes minutes s'ouvrit enfin. Un soupir de soulagement s'échappa de ses lèvres en même temps qu'un nuage de fumée. Il plissa les yeux pour percer la pénombre, tentant de distinguer la silhouette. Un jeune homme, de toute évidence. Sans doute le jeune homme qu'il attendait. Qui d'autre aurait eu l'idée farfelue de se lever de si bonne heure un samedi matin. Mihaël attendit, plus ou moins patiemment, que le gamin arrive à sa hauteur.

'' Tu es Tony Snow ? ''

Son interlocuteur leva vers lui un regard surpris, le dévisagea un moment, avant de daigner répondre.

'' Ouais … Et toi, t'es qui ? ''

C'était donc lui, le petit salopard qui avait fait du mal à Evelynn. Mihaël leva un sourcil, quelque part entre étonnement et mépris. Franchement, ce gringalet n'avait rien pour plaire. Comment sa sœur avait-elle pu s'amouracher à ce point d'un type comme lui ? En plus, il avait un air idiot collé au visage. Rien pour lui. Pauvre garçon. Mais de toute façon, il n'était pas là pour décider si oui ou non cette ordure méritait sa petite sœur, il savait déjà que non. Il était trop tard pour les bénédictions. En revanche, il était bien assez tôt pour les malédictions. Il se gorgea une dernière fois de nicotine, jeta sa clope par terre et l'écrasa du talon avant de s'avancer vers Snow. Le gamin recula légèrement, pas vraiment sûr de la conduite à adopter. Mais Mihaël ne lui laissa pas le temps de tergiverser longtemps : d'une poigne ferme et sûre, il empoigna le col de la chemise du gosse et le plaqua contre le mur le plus proche.

'' Putain, qu'est ce que tu me veux ? ''

La terreur dans le regard, le tremblement des membres, les pupilles dilatées, la voix trop aiguë, trop frémissante … ce môme était une véritable mauviette. Tant mieux. Il ne serait pas difficile à impressionner. Mihaël, un éclair de rage dans les yeux, approcha son visage à quelques centimètres de celui du garçon, raffermissant sa prise en prenant soin de l'étrangler à moitié. Suffisamment pour qu'il ait la trouille. Pas assez, tout de même, pour le tuer ou lui infliger de quelconques dommages. Il ne tenait pas à finir en taule à cause d'un petit prétentieux dans son genre.

'' Je suis Mihaël Monroe. Le frère d'Evelynn. ''

Un éclair de compréhension passa sur le visage effrayé du gamin et il devint soudainement plus pâle encore.

'' Je lui ai rien fait, à Evelynn. C'est un malentendu, c'est … je lui ai pas fait de mal ''
'' Ah oui ? C'est pas l'impression que j'ai eu quand elle est rentrée hier soir. ''

C'était une Evelynn en larme qu'il avait retrouvé, la veille. Une Evelynn qui venait de se faire tromper, humilier par ce qui lui servait de petit copain. Le pire, c'est qu'elle en était amoureuse, de ce cafard. Mais, foi de Monroe, il ne l'approcherait plus, ne lui parlerait plus, oserait à peine la regarder. Qu'il joue avec les sentiments de toutes les autres filles si ça lui plaisait. Mais pas avec ceux de sa petite sœur. Le gamin ouvrit la bouche, sans doute pour plaider sa cause. Mais d'une pression du poing et d'un regard noir, Mihaël le fit taire.

'' Ta gueule. Je m'en fous, de tes excuses, de tes justifications et de toutes ces conneries. Je veux seulement que ça ne se reproduise plus. Tu ne t'approches plus de ma sœur. Si je te vois tourner autour d'elle, je te refais le portrait. Et si jamais elle verse encore une seule larme à cause de toi … ''

Le coup partit tout seul. Dans le nez du gamin qui poussa un cri de douleur.

'' … c'est juste un avant goût de ce qu'il risque de t'arriver. T'as compris ? Aller, dégage maintenant. ''

Snow prit ses jambes à son coup, sans demander son reste. Mihaël le regarda disparaître dans la lumière blafarde de l'aube. Il était temps de rentrer. Cet idiot retiendrait la leçon, il en était certain. Mais il aimait autant qu'Evelynn ne soit pas au courant de son intervention. Elle n'avait pas besoin de savoir.

La protéger. Une mission. Un devoir. Elle passait avant tout. Avant lui même. Avant ses propres problèmes. Avant ses propres tourments. Avant tout. C'était futile avant, presque inutile. La protéger des garçons qui lui tournaient autour. La protéger des coups de la vie. La protéger des douleurs. Mais ça avait prit tout son sens, soudain. Tellement de sens. Il y avait tellement plus dangereux, que les garçons infidèles ou les petites douleurs au cœur. Ça venait d'ailleurs. C'était fort. Trop fort. Dés lors, la seule chose à protéger, c'était leur esprit. La seule chose à faire, c'était survivre. La seule chose à craindre, c'était l'effacement.

Elles étaient partout, leurs iris reflétant la lumière du jour. Mihaël porta machinalement la main à ses lunettes de soleil. Son bouclier. Son assurance vie. Partout où son regard se posait, il en apercevait. Des âmes. Cela faisait quelques mois qu'ils avaient finalement compris quelle genre de menace planait sur eux. Mais c'était déjà trop tard, à l'époque. Beaucoup trop tard. Mihaël avait juste eu le temps de fuir, avec Evelynn. Ils n'avaient rien pu faire d'autre. Ils avaient déjà de la chance d'être encore vivant. Un frisson lui traversa l'échine. Il commençait à regretter. Qu'est ce qu'il faisait là ? Pourquoi était-il revenu ? À quoi bon ? Il savait déjà que tout était perdu, qu'il n'y avait rien à espérer. Chicago avait été envahi. Comme le reste du pays. Comme le reste du monde. C'était trop tard. Bien trop tard. Pourtant, il avait voulu le voir, de ses propres yeux. Il voyait, désormais. Et à part lui donner la nausée, ça ne servait strictement à rien. Sa ville n'était plus la sienne. Plus la leur. Les humains avaient été éradiqués. Les âmes avaient parasité chaque corps. Il n'y avait plus le moindre souffle d'humanité dans cette ville. Il marchait d'un pas vif, ne tenant pas à s'attarder. Il devait prendre le moins de risques possibles. Il devait sortir vivant de ce guêpier. Sinon pour lui, au moins pour sa sœur. Elle l'attendait. Il ne pouvait pas se permettre de l'abandonner. Il ne pouvait pas se permettre de ne pas rentrer. Ou pire, de rentrer en ayant une autre conscience. De la livrer, involontairement, trahi par ses souvenirs. Nouveau frisson. Il accéléra le pas.

Il déboucha dans une rue qu'il ne connaissait que trop bien. Sa rue. Celle qu'il pouvait voir lorsque, enfant, il regardait par la fenêtre de sa chambre. Celle qu'il avait si souvent parcouru à pied, à vélo, en skate et puis, plus tard, en voiture. Celle dont il se souvenait chaque maison, chaque habitant, chaque arbuste. Mais ce n'était plus la sienne désormais. Rien n'avait changé et pourtant, tout était si différent. Ses voisins étaient devenus des êtres aux yeux brillants. Ici aussi, ils étaient nombreux. Il n'aurait pas du venir un jour de grand soleil. Il aurait du venir un jour de pluie, il y aurait eu moins de badauds. Mais alors, les lunettes de soleil n'aurait plus eu de raison d'être. Et il avait besoin de ces fichues lunettes. Enfin, il atteignit la maison. Celle dans laquelle il avait passé toute son enfance. Celle qui l'avait vu grandir. Son cœur se serra. Cette maison était la sienne, et pourtant, il ne pouvait plus y entrer. C'était dangereux, de traîner dans le coin, il en avait parfaitement conscience. Derrière ses lunettes aux verres teintés, il ne cessait de regarder à droite et à gauche, surveillant le moindre mouvement suspect. Mais les parasites ne prêtaient aucune attention à lui.
Un air nonchalant sur le visage, il pénétra dans le petit jardin qui bordait le pavillon. C'était tellement étrange de se retrouver ici. En tant qu'intrus. Tellement étrange de fouler ce sol, là où il avait passé tellement d'été à jouer, là où il avait fait les plus belle bataille d'eau et, en hiver, les plus grande bataille de neige. Là où sa mère prenait soin de planter des dizaines de fleurs un peu partout. Il n'y avait plus de fleurs. Tout était parfaitement entretenu, mais il n'y avait rien. Rien qui laisse présager que quelqu'un vive encore ici. Il voulait savoir. Il crevait d'envie de savoir mais en même temps, il avait tellement peur de ce qu'il risquait de découvrir. Pourtant, il ne marqua pas la moindre hésitation. On risquait de lui demander s'il n'avait pas un problème. Et il ne voulait avoir aucun contact avec ces immondes créatures. Autant par sécurité que par dégoût. Vérifiant rapidement que personne ne le regardait, il contourna la maison et alla coller son nez à l'une des fenêtres, sur la façade arrière. Si on le surprenait, il était mort. Mais normalement, personne ne pouvait le voir de la rue. Seuls les habitants de la maison ou les voisins pouvaient l’apercevoir. Mais, en théorie, les uns comme les autres étaient sortis. Dans tous les cas, mieux valait ne pas traîner. Ses mains placées autour des yeux pour se protéger de la lumière, il observa l'intérieur de la maison. Tout avait changé, indubitablement. La plupart des meubles avaient disparu, il ne restait que le minimum vital et toute trace de décoration avait déserté. Ses parents ne vivaient plus ici, c'était certain. Ou si c'était le cas, ils n'étaient plus humains. Un nouveau frisson d'horreur lui traversa l'échine. Il ne devait pas se laisser perturber par ses sentiments, aussi douloureux soient-ils. Il fallait qu'il sache. À bien y regarder, il pouvait distinguer une faible couche de poussière. Sur le sol. Sur les meubles. Et pas la moindre trace de vie. Pas de vaisselle sur l'égouttoir, il n'y avait d'ailleurs ni éponge, ni produit. Pas de vêtement au porte manteau. Pas de chaussure sur le paillasson. Pas de livre dans la bibliothèque. Rien. Personne ne vivait ici. Il ne savait pas s'il devait s'en réjouir ou non. Au moins n'avait-il pas contemplé les corps de ses parents contrôlés par ces monstres. Mais d'un autre côté … où étaient-ils ? Avaient-ils fuis, finalement ? Avaient-ils finis par comprendre ? Il en doutait. Lorsqu'il s'était enfuis, cette nuit là, il avait proposé à ses parents de le suivre. Il les avait supplié, même. Il avait passé des heures à tenter de les convaincre. En vain. Son scientifique de père ne pouvait tout simplement pas admettre l'idée d'une vie extraterrestre. Et sa mère suivait son père dans chacune de ses décisions. Mihaël s'en était voulu, de les abandonner à ce qu'il imaginait être une mort presque certaine. Mais il n'avait pas eu le choix. Il n'allait pas risquer sa vie à cause de l'entêtement de son père. Ni celle d'Evelynn. Alors, il était parti, et il les avait laiss" là, espérant qu'ils finiraient pas entendre raison. Avait-ce été le cas ? Avaient-ils compris, suffisamment tôt, qu'il valait mieux partir ? Avaient-ils survécu ? Ou bien avaient-ils simplement attendu de se faire prendre, comme tant d'autres ? Mihaël n'en savait rien, et n'avait aucun moyen de le savoir. Aucune raison de s'attarder ici. Il quitta donc les lieux, rapidement, aussi innocemment que possible. Il avait plusieurs heures de marche, avant de retrouver sa sœur qui devait se faire un sang d'encre, il ne fallait pas traîner.

Ils leur avaient tout pris. Leurs familles. Leurs vie. Leurs avenirs. Réduis à l'état de fugitifs, de hors la loi. Traqués sans relâche dans leur propre pays. Qu'avaient-ils fait, pour mériter pareil traitement ? Il avait beau tout faire pour Evelynn, il n'avait pas pu la protéger de ça. De l'invasion. De la peur. De l'horreur. De la haine. Il avait fait ce qu'il pouvait. Il lui avait appris à survivre, lui avait donner les armes nécessaires. Si elle se retrouvait seule. Parce que, malgré la promesse, l'idée restait là. Présente. Lancinante. S'il disparaissait. S'il se faisait prendre. Elle devrait se débrouiller seule, alors. Elle en était capable. Il savait qu'elle en était capable. Il ne s'était jamais demandé, en revanche, si lui serait capable de vivre sans elle.

Il fallait faire vite. Il fallait toujours faire vite. Mais ce soir là, ses gestes étaient plus précipités, son regard plus alerte, son esprit plus concentré sur le silence pesant, et moins sur ses mains. Il attrapait mécaniquement les denrées qui leur permettrait de survivre encore un peu. Il ne prenait pas le temps de choisir. Pas cette fois. Il prenait ce qui lui tombait sous la main et emplissait en vitesse le sac à dos noir. Il avait un mauvais pressentiment. S'il s'était écouté, il serait resté à l'abri, ce jour là. Mais il fallait bien se ravitailler. Ils n'avaient plus rien à manger. Ils ne pouvaient pas attendre. Pourtant, l'angoisse ne le quittait pas, lui tordant le vendre, lui donnant la nausée, aussi surement que la faim. Il referma le sac d'un coup sec, laissa le placard ouvert. Comme ceux qu'il avait fouillé avant. Les âmes qui vivaient dans cette maison remarqueraient de toute façon le cambriolage. Et il n'avait pas le temps de faire dans les détails. Il empoigna le sac et, sans regarder derrière lui, quitta les lieux en trombe. Un œil sur sa montre lui appris qu'il était dans les temps.

'' On se retrouve dans un quart d'heure. '' avait-il dit.

Il était même en avance. Peu importait. Avec un peu de chance, Evelynn serait elle aussi en avance. Avec un peu de chance, ils pourraient quitter rapidement cet endroit maudit. Avec un peu de chance, ils retrouveraient bientôt la sécurité de leur cachette du jour, une ferme abandonnée à quelques kilomètres de là. Mais la soirée n'était pas placée sous le signe de la chance. Evelynn n'était pas au point de rendez-vous. Il avait beau se dire que ça n'avait rien d'étonnant, qu'il était en avance, qu'elle n'allait pas tarder, son cœur se serra d'angoisse. Il s'enfonça dans l'ombre, entre le tronc imposant du chêne et la haie de thuyas qui faisait le tour de la propriété et dans laquelle ils avaient libéré un passage. Evelynn était dans la maison d'à côté. La nervosité le rendait impatient. Il jetait des coups d’œil fréquent de l'autre côté de la haie. Mais rien, pas un mouvement. Il attendit.

'' Tu attends quinze minutes, maximum. Si je ne suis pas revenu, ne traîne pas dans les parages. Fuis le plus loin possible. Et ne retourne pas à la ferme, surtout. ''

Il le lui disait à chaque fois. Il n'avait jamais imaginé que ce serait elle, qui ne reviendrait pas. Jamais. Il attendit quinze minutes. Vingt minutes . Vingt-cinq minutes. Et puis, au bout de trente minutes, n'y tenant plus, il récupéra son sac et se glissa par le trou dans la haie pour atteindre le jardin voisin. Aucun signe de vie. Aucun signe d'Evelynn. Le cœur battant à tout rompre, à deux doigts de céder à la panique, il se précipita à l'intérieur. Il fouilla chaque pièce, chaque coin d'ombre. Oubliant toute prudence, il cria son nom, fouilla le jardin, refit un deuxième tour de la propriété. En vain. Il devait bien se rendre à l'évidence, elle n'était plus là. Sa petite sœur avait disparu. Pourtant, il refusait de croire à l'incroyable. Pas encore. Il retourna au lieu de rendez-vous, pensant l'avoir loupé. Mais elle n'y était pas non plus. Alors, il retourna dans la maison qu'il avait lui même dévalisé. Peut-être était elle partie à sa recherche là-bas ? Peine perdue. Au bout de deux heures de recherches infructueuses, il du bien accepter la terrible réalité. Evelynn n'était nulle part. Elle ne serait jamais partie seule. Jamais. Elle ne l'aurait jamais laissé l'attendre aussi longtemps. La vérité s'imposa. Brutale. Violente. Douloureuse. Elle n'était pas partie, bien sûr. Ils l'avaient enlevé. Son cœur sembla s’arrêter de battre. Ce n'était pas possible. Ses jambes se dérobèrent sous lui, vaincues par la faim qui le tenaillait depuis trop longtemps, vaincues par ces heures d'angoisse, vaincues par la douleur immense qui l'écrasait sous son poids. Ce n'était pas possible. Pas possible. Il était incapable de la moindre pensée cohérente. Incapable de se relever et de fuir, alors même que rester ici plus longtemps était de l'ordre du suicide. Incapable de refouler les larmes. Tout juste capable de nier l'évidence. Encore. Encore. Et encore. Comme si cela suffirait à remonter le temps, à produire un miracle. Il resta longtemps ainsi, meurtri, brisé. Jusqu'à ce que le soleil se couche. Jusqu'à ce qu'une voiture se gare dans l'allée, devant la maison. Ce n'est que l'instinct de survie, les réflexes acquit en un an de cavale, quelque chose de suffisamment ancré pour devenir quasiment inconscient, qui le firent se redresser, récupérer le sac, glisser à nouveau sous la haie et disparaître dans la nuit.

Elle était morte. Elle était morte. Elle était morte. Par sa faute. Il avait échoué. Il avait manqué à sa promesse. Il l'avait trahi. Il ne méritait même pas de vivre. Peut-être méritait-il lui aussi le même sort qu'elle ? Se faire implanter un mille pattes dans la tête. Il ne pouvait pas continuer sans elle. C'était pour elle qu'il s'était battu jusqu'à présent. Ce combat n'avait plus de sens. Pour qui ? Pour quoi ? De toute façon, tout était perdu. De toute façon, ils ne gagneraient pas cette guerre. C'était un combat perdu d'avance. À quoi bon s'acharner. Il n'arrivait pas à se faire à l'idée. Quelque part, un parasite avait prit possession du corps de sa petite sœur. Quelque part, une autre conscience utilisait ce corps. Il ne pouvait pas l'accepter. Il ne pouvait pas.

Il était de retour. Encore une fois. Il n'était pas revenu depuis qu'il avait constaté l'absence de ses parents. Et comme la première fois, c'était douloureux. Mais pas pour les mêmes raisons. Il n'avait, en revanche, pas peur. Il y avait trop de sentiments en lui pour laisser place à la peur. Lunettes noires sur le nez, il avait à nouveau parcouru la ville. D'un pas vif. Pas pour fuir les âmes, cette fois ci. Pas par crainte de se faire prendre. Plutôt par empressement.

Cela faisait des mois qu'il vivait dans le souvenir d'Evelynn, écrasé sous la culpabilité. Il avait failli baisser les bras, des centaines de fois. Il avait même failli mettre fin à ses jours, lorsque la douleur était trop forte. Mais chaque fois, il y avait cette pensée. Comme une gifle. Un coup de fouet. Il y avait un monstre dans le corps de sa sœur. C'était insoutenable comme pensée. Mais en même temps, c'était la seule chose qui lui avait permis d'avancer, pendant des semaines. La seule chose qui lui avait permis de survivre. La seule chose qui l'avait empêcher de sombrer tout à fait. Parce qu'avec cette pensée, il y avait une promesse. Une promesse qu'il comptait bien tenir cette fois. Celle de venger sa sœur.

Une rue pas très fréquentée, entre son lieu de travail et la maison qui avait été la leur. Qui était devenue celle de ce monstre. Il avait tout prévu. Tout sauf les sentiments contradictoires qui s'élevèrent en lui lorsqu'il aperçu sa silhouette. L'amour et la haine qui se livraient bataille. Il fallait qu'il se concentre sur la haine. Qu'il étouffe le reste. D'un geste nerveux, il rangea ses lunettes noires dans sa poche. Il ne voulait pas qu'elle pense, ne serait ce qu'une seconde, qu'il était devenu comme elle. Il voulait que le parasite, à l'intérieur de ce corps, sache exactement à qui il avait affaire. Elle ne l'avait pas vu encore. Il vérifia la présence du couteau, dans sa ceinture et prit une inspiration. Il fallait qu'il le fasse. Il fallait qu'il sauve sa sœur. Et le seul moyen de le faire était d'assassiner le mille patte. De toute façon, Evelynn était morte. Elle était morte. Il le savait, en était convaincu depuis ce funeste jour. Mais alors qu'il la voyait avancer vers lui, inconsciente encore du danger qui se profilait, il eu l'espoir fou qu'elle était encore vivante. Survivante. C'était impossible. Totalement impossible. Comment aurait-elle pu survivre dans une ville complètement envahie ? Il fallait qu'il se ressaisisse. Il n'avait pas le droit de flancher. Et ses yeux brillants en était la preuve ultime. Les poings de Mihaël se crispèrent et il avança à son tour vers elle. Il croisa son regard et tenta de transmettre toute l'ampleur de sa haine. Mais sa rage était bien trop grande pour passer dans un simple regard. Tellement grande.

'' Grand frère ''

Ces mots dans sa bouche lui firent mal. Plus qu'il n'aurait pu l'imaginer. C'était tellement dur. Pourtant, il ne fit pas demi tour. Il était trop tard pour faire demi tour. Bien trop tard. Elle s’arrêta devant lui. Il était prit entre cet amour, brûlant, dévorant, et cette rage, violente, terrifiante. Sans trop qu'il sache comment, il se retrouva à enlacer sa sœur. Sa sœur. Et certainement pas le monstre qui habitait en elle. Pouvait-elle ressentir cette étreinte ? Pouvait-elle l'entendre ? Il n'en savait trop rien. Il ne savait pas ce qu'on devenait, une fois qu'une âme était insérée. Il ne savait pas si elle avait été effacée, totalement, ou simplement prisonnière, tout juste spectatrice d'une vie qui n'était plus la sienne. Il était certain, en revanche, qu'elle ne pouvait pas agir. Tout à fait certain.

'' Tu ne sais pas à quel point tu m'as manqué, Eve … ''

Si jamais elle l'entendait. Il fallait qu'il lui explique. Il fallait qu'elle lui pardonne. Il la lâcha, recula d'un pas, et planta ses yeux dans les siens.

'' Je m'en veux, ils n'auraient jamais du te capturer, à cause de moi tu es devenu ce monstre.... Te souviens tu de la promesse que je t'avais faite ? Jamais ils ne pourront me séparer, des lors tu as tout de suite su ce que cela voulait dire. Tu vivras dans mon coeur a jamais ... Mais ils ne nous auront jamais ... ''

Et il fit la chose la plus difficile qu'il n'ai jamais eu à faire. Il tira le couteau et, sans trembler, sans hésiter, le planta dans le ventre d'Evelynn. Tout alla tellement vite. Et en même temps, il se souvenait de tout. De tous les détails. Son visage se tordant en une grimace de douleur. Son corps s'affaissant. Son gémissement d'agonie. Et le sang. Tout ce sang. Mihaël recula, incapable de supporter ce spectacle plus longtemps. Ce n'était pas Evelynn. Ce n'était pas sa sœur. Juste un monstre. Un abominable monstre. Mais même cette certitude ne parvenait pas à effacer la culpabilité soudaine. La douleur terrible.

'' Je suis désolé. ''

Trois mots. Ô oui, il l'était tellement. Désolé. Tellement. Mais il ne pouvait pas s'attarder, il commençait à y avoir du mouvement dans la rue. À quoi bon, de toute façon ? Il n'éprouvait aucun plaisir à regarder le corps de sa sœur se vider de son sang. Son sang. C'était son sang qu'il avait fait couler. Il fallait qu'il se calme. Il fallait qu'il se souvienne. Ce n'était pas sa sœur. Ce n'était plus sa sœur. Peu importait qu'elle ait les mêmes yeux, le même sourire, la même cascade de cheveux lui tombant sur les épaules, les mêmes mains, délicates. Peu importait son corps. Evelynn était morte. Depuis bien longtemps. Il repéra des âmes qui sortaient de chez elles, non loin. Elles allaient venir par ici. Nécessairement. Il était temps de filer. Alors, laissant de côté les sentiments qui se bousculaient en lui, chaussant ses lunettes noires, il prit ses jambes à son cou. Il prendrait le temps de faire le point plus tard. Lorsqu'il serait retourné dans le désert, en terrain plus sécurisé. Ici, la menace était partout, il ne pouvait pas se laisser distraire. Il ne rentrerait pas au camp. Pas tout de suite. Il s'en voulait un peu, d'ailleurs, d'avoir quitté le refuge ainsi. Sans rien dire à personne. Seul. Comme un voleur. Il les mettait tous en danger, il le savait bien. Mais il n'avait pas eu le choix. De toute façon, ils avaient tous compris comment il fonctionnait. Un an qu'il avait découvert leur cachette. C'était plutôt eux qui l'avaient découvert, à vrai dire, alors qu'il traînait sa peine dans le désert, errant dans l'espoir fou de tomber sur des humains. Il avait eu de la chance. Beaucoup de chance, qu'ils lui tombent dessus. Il serait mort, sinon. Mais depuis, il n'était pas toujours resté sans faire de vague. Il n'aimait pas qu'on lui donne des ordre, préférait nettement les donner lui même. Il était habitué à faire ce qu'il voulait quand il le voulait. Il avait eu des coups de gueule, souvent. Mais il avait passé de tellement bon moments, aussi. C'était quelque chose de fabuleux, dans la résistance. L'avenir était tellement incertain que les coups de colère se dissipaient vite, que les excuses venaient naturellement. Il fallait profiter du peu de temps qu'ils avaient. Il allait se faire engueuler en rentrant, c'était certain. Mais tous seraient rapidement ravi de le voir sain et sauf, de constaté qu'aucun parasite logé dans sa tête ne risquait de découvrir leur planque. Et ils oublieraient.