Son souvenir le hantait. Parfois, il se réveillait en sursaut, ressentant alors le même désespoir qui l'avait envahi un an et demi plus tôt, lorsqu'il l'avait vue pour la première fois. Ce visage. Il ne pourrait jamais l'oublier. Une peau claire comme la porcelaine. Des yeux bleus électriques qui tranchaient avec son teint. Des cheveux aussi blonds que le blé. Elle aurait pu être un ange. Elle aurait pu lui ramener son frère avec bienveillance. Mais ce n'avait pas été le cas. Elle l'avait enlevé. Elle s'était même retournée vers Raphaël dans un sursaut de méchanceté pour lui sourire et lui faire un signe de la main. Sadique, voilà ce qu'avait pensé Raphaël. Il aurait voulu lui planter un couteau dans chaque œil. Lui trancher la gorge. Lui ficher une balle dans son cœur. Il n'avait pas été assez rapide. Il n'avait même pas fait attention que Thomas était attrapé. Qu'il avait été négligent ! Il avait été incapable de le protéger. Son petit frère d'à peine douze ans. Raphaël le pensait mort. Il préférait encore imaginer cela que penser que Tommy était enfermé dans son propre corps, interdit de geste par une âme envahissante. C'était trop douloureux. Ce matin encore, il s'était réveillé, couvert de sueur et le cœur battant la chamade. Le visage de cette traqueuse gravée sur sa rétine. Il ne l'oublierait jamais. Il la trouverait et lui ferait payer ce qu'elle avait fait. Il serra les poings. Il voulait se lancer dans une chasse à l’homme. Une chasse qu’il ne maitrisait pas.

Courir après une traqueuse était dangereux. Ce n’était pas n’importe qui. Il souhaitait s’en prendre à un traqueur, le genre sans pitié et incapable de compassion. S’il se trouvait un jour devant lui, il risquerait de se faire prendre. Ce serait soit le traqueur, soit Raphaël. Et il était hors de question que le résistant se fasse attraper et implanter une de ces âmes. Tout mais pas ça. Alors il avait intérêt à être bien préparé, à savoir ce qu’il faisait. Raphaël se redressa dans le lit de camp, s’appuyant contre le mur de roche. Il était encore tremblant. La chambre était plongée dans le noir. Une obscurité à laquelle il était habitué depuis qu’il s’était installé à la grotte du lac salé. Il laissa sa vue s’habituer au manque de luminosité avant d’aventurer en dehors du lit. La fraicheur de la grotte termina de le réveiller et de le sortir de son cauchemar. Aujourd’hui, un raid était prévu dans une ville à quelques deux cent kilomètres. Raphaël se joindrait à eux. Il avait appris par un résistant que cette « fille » était dans les parages. Il allait lui tendre un piège, l’attraper et lui faire payer ses actions. Il lui ferait payer tous les enlèvements. Il la dégoûterait de ces agissements et la forcerait à quitter la planète pour ne jamais revenir. Voilà ce qu’il comptait faire. Il ne savait pas où cette histoire le mènerait, ni s’il arriverait à attraper cette traqueuse. Il n’était même pas certain qu’elle serait là.

Dans l’obscurité de sa chambre, Raphaël prépara un sac-à-dos dans lequel il fourra une corde, une lampe torche, une bombe lacrymogène – il l’avait récupéré chez lui dans ses affaires de policier – un revolver, une batte de baseball et un couteau multifonction. En fait, il n’avait aucune idée de comment il s’y prendrait pour piéger la traqueuse. Alors il prenait tout ce dont il pourrait avoir besoin, sachant aussi qu’il pourrait compter sur les ressources sur place afin de mettre en place un traquenard. Il jeta le sac en travers de son dos et rejoignit l’espace principal de la grotte où l’équipe devait se rejoindre. Une heure plus tard, il était rejoint par des résistants et il partait. Son plan avait été établi pendant ces dizaines de minutes à attendre le départ. Il avait plus ou moins prévu ce qu’il allait faire. Une fois sur place, Raphaël se mit au travail. Il entra dans une maison, explosant la vitre d’une des fenêtres en y donnant un coup de coude. Il visita rapidement l’endroit, sortit les affaires dont il aurait besoin, récupéra des objets appartenant à la résidence puis mit en place son plan. En une heure, tout était en place. Il n’y avait plus qu’à trouver sa proie et à l’attirer ici. Pour cela, il avait une technique imparable. Raphaël sortit de la maison et se promena dans la rue. Rien de plus simple. Il ne chercha pas à dissimuler la couleur de ses yeux, ni à se cache. Même s’il savait qu’il pourrait attirer d’autres traqueurs que celle qui l’intéressait, il ne voulait pas y penser. Il verrait sur le moment.

Raphaël essayait de marcher tranquillement, de faire l’innocent qui ne connaissait pas le danger, mais il en était bien loin. Son cerveau tournait à plein régime. Il repensait à tous les endroits où il avait planqué des pièges et des armes. Dans la précipitation, il ne devrait surtout pas tomber dans un de ses propres pièges. Ce serait de loin la chose la plus idiote qu’il aurait faite ! Pendant sa marche, il mémorisa tous les endroits qui l’aideraient pendant son sprint pour rejoindre la maison. Il n’était plus très certain d’être prêt. Il avait préparé son plan en quelques heures, sans aucune préparation. C’était risqué mais il était sûr de vouloir le faire. Il ferait payer cette traqueuse, quoiqu’il lui en coûte. Et enfin, il la vit. Là, devant lui. Ses yeux électriques, ses cheveux blonds, son visage angélique. Derrière cette apparence se cachait un diable. Il ne devait pas s’attendrir devant son air innocent. Elle était loin de l’être. Raphaël s’arrêta et se planta devant elle, laissant une dizaine de mètres entre eux. Il sentait le contact froid de son revolver dans le dos, le poids rassurant du poignard qu’il avait trouvé et rangé dans sa poche. Elle ne pourrait rien. Il allait l’avoir. Il allait l’égorger et lui montrer ce que ça faisait aux humains de leur enlever leurs proches. Elle apprendrait. Il la regarda, déterminé, pendant quelques secondes. La scène ressemblait à celle d’un western spaghetti où les deux cowboys se faisaient face, les mains placées au niveau des pistolets. Raphaël aurait aimé pouvoir lui dire quelque chose, lui dire tout ce qu’il pensait sauf qu’il n’avait aucune idée de quoi lui dire.

Il y avait trop de choses qu’il aurait souhaité lui balancer à la tronche. Mais elle s’en fichait. Elle ne l’écouterait pas et trouverait encore plus marrant de lui courir après. Il la revit ce soir-là où elle avait tiré Thomas par le bras pour le faire monter dans une camionnette. Il avait crié, hurlé, donné des coups dans l’air. Thomas s’était battu. Il avait essayé de s’accrocher à la vie. Et Raphaël n’avait rien fait. « Tu te souviens de moi ? En tout cas, moi, je ne t’ai jamais oubliée. Tu as enlevé mon frère. Un garçon de douze ans. » Jusqu’à maintenant, il n’avait jamais ressenti une colère pareille. Il était colérique, il ne se le cachait pas, mais là, ça allait haut delà de tout ce qu’il connaissait. Elle avait osé lui retirer son frère. La personne qui comptait le plus au monde. Celui que Raphaël avait vu naitre, puis grandir. Enfin, il aurait sa vengeance. Enfin, le moment était venu.

© charney