Ma vie a commencé il y a des milliers d'années, une douce odeur de chlorophylle et de pollen flottant dans les airs. J'étais une fleur, une rose plus précisément. Des pétales jaune comme l'or, le soleil était mon coeur et sans lui, mon existence s’éteignait à petit feu. Ma vie était paisible, douce et silencieuse. Rien ne venait entraver à la sérénité de cette planète, pas même les plantes que l'on "envahissait", comme aiment dire aujourd'hui les humains. J'étais la rose la plus éclatante de toutes. Mes pétales d'or reflétait encore la lumière irradiante du soleil des heures après que ce dernier se soit couché. Puis vint cette douloureuse semaine où d'épais nuages contrariaient la douce incandescence de notre étoile préférée. Gorgée de lumière, mes pétales irradièrent telles 35 petits soleils, chacune plus brillante que l'autre. C'est après cela que l'on me nomma Petite-rose-de-lumière, car j'avais permis à mes frères et soeurs de ne pas périrent dans la pénombre. Je demeurai sur la planète des fleurs encore quelques siècles, trop attachée à cette douce vie pour avoir le courage de la quitter. Au bout d'un certain temps, c'est la curiosité qui me poussa à vouloir découvrir un autre monde. J'aimais ma condition de rose plus que tout, mais l'envie d'explorer une partie de l'univers était plus fort, inconsciente de l'ampleur que pourrait être le choc ...

Ma seconde vie fut courte et cauchemardesque. Victime d'une terrible erreur, je ne fus pas envoyée sur la planète que je désirais. J'étais sur la planète des chants, celle des chauves-souris et de la nuit éternelle. Aveugle et privée de lumière, j'étais la plus malheureuse des âmes, incapable de m'adapter à ces conditions si particulières. Surement aurais-je pu me faire à cette vie si je n'avais pas vécu sur la planète des fleurs auparavant ... Mais ayant goûté au plaisir immense de la lumière et de ses bien-faits, il m'était impossible de me résoudre à vivre davantage dans cette pénombre effrayante. L'on pris la décision de ne pas me laisser sur cette planète, constatant ses méfaits sur mon moral. J'entendis alors parler pour la première fois de cette planète nommée Terre. Elle n'avait pas été conquise depuis longtemps, mais l'on m'avait assuré que la vie y était douce et ensoleillée.

Je considère ma troisième vie comme la plus difficile, mais je l'espère être mon ultime vie car je ne pourrais me résoudre à la quitter. Dès mon arrivée, j'ai été insérée dans le corps d'une jeune femme. Mon soigneur, me connaissant à travers mes vies antérieurs, m'a avoué avoir choisis mon hôte en accord avec l'image que ma personnalité renvoyait. Zoella Tomson, c'est son nom, c'est son corps. Elle est grande et sa peau est blanche. Elle porte de longs cheveux blonds comme les blés qui me rappellent mes pétales d'or lorsque j'étais une rose. Son regard est malicieux, ses traits sont fins et délicats. Elle est assurément belle, et chaque jour j'apprécie pouvoir vivre dans un corps tel que le sien. J'ignorais beaucoup de choses sur la planète sur laquelle je m’apprêtais à évoluer. Je ne me doutais pas que les êtres qui y vivaient étaient doté d'un cerveau ô combien complexe et développé. J'ai pu, à travers les souvenirs de mon hôte, découvrir quelles avaient été leur vie, avant notre arrivée. J'ai été sous le choc, submergée par l'intensité de leurs sentiments et de leurs relations ... Immédiatement, je fus sujette à une culpabilité immense et je tentai de retrouver Zoella dans les méandres de cet esprit que j'occupais. En vain. Je n'ai jamais pu communiquer avec elle, je ne la connais qu'à travers ses souvenirs. Surement n'était-elle pas préparée à la résistance et avait-elle sombré dès l'instant où j'eus pris place dans son corps. J'étais triste pour elle, et ce n'était que les prémices d'un chagrin immense. En effet, quelques mois après mon insertion, je fis la rencontre quelque peu musclée de Riley. Je l'avais déjà vu dans les souvenirs de Zoella, je la connaissais même mieux que personne. Mon hôte en était amoureuse, et leur relation était caractérisée par une passion sans égale dont je fus moi-même sujette dès l'instant où sa peau entra en contact avec la mienne. Mais cet instant-là fut quelque peu douloureux. Lorsque Riley me retrouva, moi le parasite dans le corps de celle qu'elle aimait, elle me frappa jusqu'à ce que je tombe à terre, le visage ensanglanté et le corps meurtrit. De longs jours passèrent sans que je ne puisse voir la lumière du jour, séquestrée dans un placard à balai, une épée de Damoclès sur la tête. J'étais terrorisée et déprimée, seule dans le noir, avec ma culpabilité et mon impuissance comme unique compagnie. Riley, elle, était assise de l'autre côté de la porte, réfléchissant nerveusement aux options qui s'offraient à elle. Pendant près d'une semaine, ce fut le silence qui s'imposait entre nous, moi trop craintive pour oser ne serait-ce que lui présenter mes excuses, elle trop en colère pour parvenir à communiquer calmement. Et chaque jour j'entendais son arme cliqueter à chacun de ses mouvements, tel un compte à rebours qui n'arriverait jamais à terme, une torture mentale insupportable. Puis un matin, ses pas résonnèrent sans cliquetis aucun. Ce fut le début d'un traité de paix inespéré.

Aujourd'hui, tout est bien différent. Je suis propriétaire d'une petite boutique de prêt-à-porter pour femmes dans le centre-ville de Chicago. J'ai un appartement aux alentours de la ville, et vous ne devinerez jamais qui y vit à mes côtés ... Riley. Oui, vous avez bien lu. Après de longs mois de conflits, elle comme moi nous sommes enfin résignées à la disparition de Zoella. Nous avons parlé des jours entiers, je lui ai parlé de nous, les parasites, et elle m'a parlé de son espèce. Notre relation reste assez tendue. Je ne lui ai jamais avouée que les sentiments de Zoella à son égard ne m'avaient jamais quittés, mais surement le sent-elle ... Elle est si maligne. Aussi, je la cache des mes congénères, car jamais je ne pourrais accepter de la perdre. Et même si la culpabilité me ronge de jours en jours, je me convaincs que ce que je fais est juste. J'aimerais aider les autres résistants, mais ils me font trop peur pour que j'ose leur offrir mon aide. Je suis une traîtresse, j'aime une humaine, mais je suis heureuse, n'est-ce pas le but ultime de la vie ?