Le corps de la jeune femme était inerte, comme sans vie. Ses grands yeux d’ordinaire si expressifs étaient clos. Sa respiration s’était faite lente, discrète. Presque invisible. Sa peau qui était habituellement pâle et lisse était recouverte de bleus et d’égratignures. Son bras droit formait un drôle d’angle. Il était tordu. Ses cheveux blonds comme les blés étaient éparpillés autour de sa tête. Ils formaient un halo autour de son visage, rappelant l’auréole des anges. Un ange déchu en quelques sortes.
« Elle est là. » Ces mots. Ils lui parvenaient difficilement. Elle était incapable de bouger, de répondre quoi que ce soit ou même de ciller. Et pourtant, si cela lui avait été possible, elle serait partie en courant. Qu’importe qu’elle soit à l’agonie. Elle aurait recommencé. Encore et encore. Jusqu’à ce que mort s’en suive. Il valait mieux mourir que d’être attrapée par eux. Malheureusement pour elle, cette voiture n’était pas allée assez vite. Elle ne l’avait pas frappé assez fort pour la tuer. Elle était sortie de cet accident grièvement blessée et s’ils ne l’avaient pas trouvé aussitôt, elle aurait pu succomber à ses blessures. Elle le voulait. Plus que tout. Avant cela, elle n’était pas suicidaire. L’idée de se donner sois même la mort ne lui avait jamais effleuré l’esprit. Jusqu’à maintenant. C’était ce qu’elle souhaitait. Plus que tout. Tant pis si elle abandonnait son cousin. C’était mieux. Autant pour l’un que pour l’autre. Lui était mort. Il avait réussi. Elle non. Comme souvent d’ailleurs, elle avait tout loupé.
L’homme la tenait entre ses mains. Une petite chose grise. Un petit ver luisant et argenté, brillant et illuminant la pièce. Un sourire se dessina sur le visage du médecin aux cheveux grisonnants. Entre ses mains recouvertes de gant en latex, elle se mouvait. L’âme se recroquevillait sur elle-même puis se détendait à nouveau. Elle semblait trembler, comme si elle avait froid. Ou alors, comme si elle trépignait d’impatience à l’idée d’entrer dans ce nouvel hôte. La fille avait été réparée. Ses cheveux étaient propres et soignés, attachés en un chignon qui dégageait sa nuque. Sa peau était redevenue lisse, comme avant son accident. Son bras n’avait plus rien. Sur son corps, les bleus avaient totalement disparus tout comme les autres marques qu’elle avait pu subir. Le médecin regarda ses assistants. L’une d’eux s’avança. Une petite femme, brune, dans la trentaine. Ses yeux brillaient d’émerveillement et d’excitation. Sous le regard de son professeur, elle écarta doucement l’incision qui avait été faite à la base de la nuque de la jeune femme endormie. L’homme lança un dernier regard à l’âme et, d’un geste des plus délicats et des plus experts, il glissa le petit être dans l’incision, attendant patiemment qu’elle prenne sa place, se connectant aux terminaisons nerveuses qui se trouvaient dans le cerveau de l’hôte. Une fois que ce fut fait, il ferma l’incision avec un produit adéquat. Après cette opération à la fois intense et éprouvante, il ne restait plus qu’une cicatrice discrète, nette et légèrement rosée, qui témoignait de cette insertion.
Les images se bousculaient. Tout un tas de souvenirs se heurtaient les uns aux autres, plongeant l’âme dans la confusion totale. Elle dû faire son maximum pour trier les souvenirs, pour apprendre à connaitre l’histoire de l’hôte. Comme toujours, le premier souvenir qu’elle visionna fut le dernier de l’humaine : sa mort. Ou du moins, sa presque mort. Elle vécu à nouveau l’accident et eut l’impression de sentir la voiture la heurter, balançant son corps frêle comme un pantin désarticulé de l’autre coté de la route. L’âme avait l’impression d’y être, de le vivre. Elle avait l’impression de ressentir la douleur que l’hôte avait subie lors de cet affront. C’était horrible. C’était douloureux, difficile. Elle suffoquait et n’arrivait plus à retrouver une respiration normale. Autour d’elle, les moniteurs s’agitèrent. Elle entendit des bruits de pas venir vers elle rapidement. Petit à petit, Pensée Au Clair De Lune se calma. Lorsqu’elle ouvrit les yeux, elle fut d’abord aveuglée par la lumière qui se reflétait sur les murs blancs de la chambre d’hôpital puis, petit à petit, ses yeux s’y firent. Le médecin s’approcha d’elle et, avec un sourire rassurant et plein de bonté, il lui prit la main.
« Bonjour, Pensée Au Clair de Lune. » L’âme – ou plutôt la jeune femme – eut également un sourire. L’homme avança la lumière vers elle. Ses yeux la reflétaient. Un cerceau bleu entourait chacune de ses pupilles, signe que l’âme était confortablement installée dans son hôte.
Pensée Au Clair De Lune se réveilla en sursaut. La sueur perlait sur son front pâle. Elle passa une main sur son visage. Ce n’était rien. Juste un souvenir de son hôte. Elle revoyait Micahëlle courir dans un champ. Elle n’était qu’une enfant à l’époque. Elle n’était pas seule. Un garçon était avec elle. Logan. Son cousin.
« Micah ! Micah ! » La voix de l’enfant résonnait encore dans sa tête. Pensée Au Clair de Lune se recoucha et ferma les yeux, continuant de voir défiler les souvenirs de son hôte. Cette fois ci, la scène se passait sous un porche. Il faisait sombre. La pluie était battante. Micah était trempée. Ses cheveux blonds lui collaient au visage. A cette époque là, ils lui arrivaient au niveau de la taille. La jeune femme se mordit la lèvre en voyant une silhouette arriver vers elle. Il était là. Dans la pénombre, on ne voyait rien ce qui signifiait qu’ils pouvaient se voir sans que personne ne les remarque. Micahëlle n’avait que dis sept ans et, les mains derrière la nuque de son amant, elle l’embrassa avec fougue et passion. Il était son ainé de presque dix ans mais surtout, il était son professeur de biologie. Ce n’était pas la première fois qu’ils se retrouvaient.
« J’aime te voir. J’aime braver les interdits pour toi. » Il ria légèrement et prit son visage en coupe, l’embrassant encore et encore. Ils regardèrent autour d’eux puis, mains dans la main, ils se rendirent chez lui.
« Je t’aime. » Il sourit et la porta sans aucune difficulté.
« Je t’aime aussi, Micah. » Cependant, le lendemain matin, il était parti pour aller chercher le petit déjeuner. Lorsqu’il était revenu, bien plus tard, la blonde avait remarqué qu’il était différent. Ce n’est qu’à ce moment là qu’elle comprit. Elle venait de le perdre et à jamais. Il était des leurs bien qu’il n’avait pas eu le choix.
« Viens avec moi, Micah. C’est pas si terrible. Crois-moi. Et puis, nous pourrons être ensemble. » L’offre était tentante mais la jeune femme se rhabilla et prit ses jambes à son cou. Ce fut la dernière fois qu’elle le vit.
Pensée Au Clair De Lune souffla. Elle était assise à son bureau.
« Va t’en. » Elle sursauta et regarda autour d’elle. Rien.
« Pars. Laisse moi. » La voix recommença. L’âme ne comprenait pas. La voix résonnait dans sa tête et pourtant, dans la librairie, personne ne parlait vraiment. Ou du moins, personne ne s’adressait à elle. La voix reprit.
« C’est à toi que je cause, parasite. » Elle avait appuyé sur le dernier mot. Totalement perdue, Pensée regarda encore autour d’elle. Comprenant que cela se passait dans la tête, elle prit peur.
« Qui es tu ? » chuchota-t-elle. En réponse, elle eut un rire.
« C’est moi, idiote. Et je veux mon corps. Alors pars. Va crever quelque part. Je m’en fou. Je veux mon corps. » Elle avait presque crié la dernière phrase. Pensée se retrouva au bord des larmes. Elle plaça ses mains sur ses oreilles comme si cela allait l’empêcher d’entendre la voix lui parler. Elle comprit alors que Micah était toujours là. Qu’elle n’était pas partie et, visiblement, elle tenait à récupérer sa place. L’âme hésita. Pour se genre de problème, elle devait aller voir le médecin. Elle changerait probablement d’hôte.
« Non. » La voix revint, apeurée.
« Pas ça. S’il te plait. » Elle s’était faite plus douce, plus docile.
Pensée se regarda une nouvelle fois. Bon sang ! Mais pourquoi avait-elle baissé sa garde ? Micah avait profité d’un instant de faiblesse et avait prit le dessus. Ses cheveux autrefois longs était désormais coupés courts et étaient châtains et non plus blonds. C’était un changement radical. Une fois encore, Pensée la menaça de changer d’hôte et Micah partie dans les tréfonds de son esprit. Finalement, mourir pour de bon lui faisait peur. Pensée avait plus ou moins comprit ce qui effrayait l'humaine. Elle avait également comprit que si elle la tenait au chantage, Micahëlle s'effaçait, laissant place à l'âme dans son corps.