Je dois avouer avoir peu de souvenirs de ma vie d'avant Indiana. Tout était si différent, si fade sur mon ancienne planète. Et puis, la fin de mon ancien hôte a été brutale. Je n'ai jamais vraiment compris ce qui avait bien pu se passer. J'ai fini ce cycle de la pire des manières, de façon trop rapide, trop bousculée. J'ai eu beaucoup de mal à me retirer, n'emportant avec moi que l'essentiel : mon identité, mon savoir de soigneuse... Chaque jour, j'essaye d'oublier combien je regrette d'avoir préféré vivre en abandonnant une part de moi-même à la mort. Et puis chaque soir, je me couche en pensant aux vies que je sauve et ça me réconforte un peu. Cette épreuve m'a rendue plus fragile encore, plus sensible à la détresse des nôtres. Il arrive que des flash me reviennent, mais j'ai peu d'espoir de jamais récupérer tous ces chers souvenirs. C'est pour ça que je parle peu du passé et de mes anciens cycles, le chagrin est trop intense. Le pire est à mes yeux est de ne pas pouvoir honorer la mémoire de mes anciens hôtes. Je me souviens particulièrement de mon hôte ours. Je l'adorais mais je n'ai jamais pu me souvenir de son nom. Il était présent à mes côtés, silencieux et réconfortant durant tout mon cycle sur sa planète.

Et puis, il y a eu Indiana. Depuis deux ans, je fais partie de ce monde étrange aux moeurs particulièrement différentes des autres planètes auxquelles j'ai eu affaire. Je cherche encore après elle dans les tréfonds de son âme, je cherche son passé, ses souvenirs, j'aimerais pouvoir les faire miens pour soulager le vide mais malheureusement, c'est vain. Kyah était profondément meurtrie par un évènement précis de son passé. Elle m'a acceptée presque avec soulagement pour ne jamais se montrer à nouveau. Sa mélancolie et sa délicatesse sont pourtant toujours en moi, exacerbant des traits qui sont déjà les miens. Depuis deux ans, je vis ici. Je ne crois pas pouvoir dire que cette colonisation est la plus réussi à notre actif. Ces humains sont tellement intenses, tellement habités par leur rage et par eux-mêmes que s'en est incompréhensible. Nombreux sont ceux qui préféreraient mourir que d'entrer en symbiose avec nous. Chaque jour, je vois les pires blessures, les pires folies... Ces deux années de conflit rendent fous les traqueurs qui semblent eux aussi habités de plus en plus de colère. C'est si improbable pour des âmes. J'ignore encore de quoi notre avenir sera fait sur cette planète mais qu'importe ce qui pourra se passer, cette planète est mon chez moi. Je ne partirais pas. C'est ma maison, mon cycle définitif.

Je sais, ça peut paraitre définitif comme décision mais ces créatures sont suffisamment fascinantes pour conduire à ce choix. De même que l'expérience sensationnelle de leurs cinq sens et de leurs milles nuances d'émotions. La plupart de ces sentiments sont d'ailleurs tellement éloignés de notre nature profonde : colère, désir, combativité, mensonge et égoïsme. Ma compassion naturelle en est chamboulée. J'ai bien failli oublier ma vocation à aider les autres lors de mes premiers mois de printemps. Le désir... Il est ancré dans leur corps. Et puis, il y a cette dernière tempête, celle qui m'agite depuis presque un mois. Elle porte le nom de Tornade-de-feu. J'ai connu l'affection mais ça, c'est très différent. Depuis son insertion, je ne pense qu'à lui, à cette âme d'argent entre mes doigts. Et mon corps réagit au-delà de toute logique au sien ce qui ne facilite nullement les choses. Nous sommes si différent lui et moi : traqueur et soigneuse. Pourtant, je n'imagine plus ma vie sans lui à mes côtés.